Détour de chant au Conservatoire d'art dramatique - poésie douce et révoltée
Voir les œuvres présentées par les finissants du Conservatoire d’art dramatique de Québec permet de découvrir la relève et d’être conforté à chaque fois dans l’idée que l’excellence de la scène théâtrale de Québec n’est pas un hasard...
Détour de chant constitue la première création des finissants de cette cohorte, une œuvre audacieuse qui prend la forme d'un « bricolage de textes » signé Geneviève Tremblay, inspiré des romans de Réjean Ducharme. Ce terme de « bricolage » s’impose, car Geneviève Tremblay réinvente des personnages et des fragments d’histoires pour les fondre en un tout harmonieux, où chacun évolue, croisant les autres, vivant sa vie en parallèle. Ainsi, prennent vie sur scène les figures emblématiques issues des neuf romans de Ducharme : André et Nicole, Margarita, Mille-milles et Châteaugué, Walter et Fanie, Francine, Juba et Hubert. On les observe vivre et survivre, porter leurs rêves, leurs désillusions et questionnements.
Adapter les œuvres de Ducharme pour le théâtre n’est pas une mince affaire, tant son langage est riche, sa poésie singulière et sa profondeur saisissante. Cela s’apparente à l’adaptation de L’Écume des jours de Boris Vian, pour évoquer une référence familière aux amateurs de littérature française. Le style de Ducharme, unique en son genre, exige de l’ingéniosité pour en préserver l’essence tout en offrant une nouvelle dimension scénique. Et ici, le pari est réussi. Bien que la cohérence d’ensemble puisse parfois paraître nébuleuse, surtout pour ceux qui ne connaissent pas les personnages des romans, le charme opère indéniablement.
Le cadre de la pièce s’ancre dans le Québec des années 1960. Les personnages de Ducharme y évoluent au fil de saynètes qui, juxtaposées, finissent par composer une fresque sociale, rythmée par des échanges empreints de poésie. On y retrouve des répliques évocatrices telles que « vorace-moi toute », « c’est parce que je t’aime que je préfère me priver de toi plutôt que te donner mes ordures », ou encore « tu tues une heure, qu’est-ce que ça donne, tu es pris avec une autre tout de suite après ». Les personnages naviguent entre absurdité et désespoir, oscillant entre la patience morose et l'espoir maladroit de lendemains meilleurs, ou simplement dans l'attente que quelque chose se produise...
Et il y a la musique. De nombreux moments chantés ponctuent la pièce, où l’on perçoit l’influence de Beau Dommage et d’autres groupes phares de l’époque. L’alchimie entre les interprètes est palpable, apportant une énergie lumineuse à la troupe. Deux musiciens les accompagnent sur scène, comme dans l’intimité d’un bar : Jasmin Cloutier à la guitare et à la basse, et Patrick Ouellet au piano, au chant et à l’accordéon. Leur prestation donne un beau relief à la pièce.
Les finissants en conception ont déployé tout leur talent pour Détour de chant. Le décor, plein de détails qui accroche l’œil et foisonnant de détails historiques, transporte le spectateur dans le Montréal populaire de cette époque. Tout en restant polyvalent, il évoque avec finesse et nostalgie l’effervescence de ces années, offrant un écrin idéal à cette fresque théâtrale.
Une réussite.
Informations complémentaires
Bricolage de textes de Geneviève Tremblay, d’après les romans de Réjean Ducharme
Mise en scène: Karine Lévesque et Patrick Ouellet, assistés d’Aude Seppey
Distribution: Maïté Beausoleil, François Dubreuil-Morin, Élie Giasson-Fragasso, Émile Lajeunesse-Trempe, Liza Laroche, Laurianne Ménard, Marie-Line Mwabi-Bouthillette, Anne Painchaud, Arno Roy et Salomé Tremblay.
Conception: Audrey Germain (décor), Hugo Morissette-Paris (accessoires), Marie-Pier Lévesque-Lizotte (costumes) et Youri White (affiche et éclairages)
Musiciens: Jasmin Cloutier et Patrick Ouellet Piano