L'Assemblée à la Bordée - clivages idéologiques de Québec
Polarisation, confrontation et argumentation sont au menu de l’Assemblée, une pièce de théâtre documentaire qui met en scène des échanges entre des personnes de Québec et de sa région aux opinions radicalement différentes, recréant un débat autour de sujets clivants pour explorer la diversité des perspectives et des positions idéologiques.
L'Assemblée est une œuvre de théâtre documentaire qui explore le "mystère Québec", une création de la compagnie Porte-Parole, connue aussi pour J’aime Hydro. Le concept a été repris dans divers pays (Canada, États-Unis, Allemagne, Brésil, Lituanie), et consiste à réunir, le temps d’un repas, quatre personnes aux opinions radicalement opposées pour qu’elles discutent ouvertement de leurs divergences, mais aussi de ce qui les unit. À partir de ces échanges, les auteurs composent une pièce interprétée par des comédiens, spécifique à la ville où elle est présentée, et le public est invité à monter sur scène pour prolonger le dialogue.
Le principe est fascinant : puiser dans le réel, capter la voix de personnes de tous horizons et tenter d’en extraire une vérité. Pour ce "mystère Québec", on rencontre quatre personnages : une militante écologiste et féministe, un conteur autochtone de Wendake, un homme d’affaires libertarien habitué des ondes d'une radio de droite, et un travailleur en économie sociale attaché aux valeurs très traditionnelles. L’équilibre entre les genres laisse à désirer, mais soit; ils débattent de sujets sensibles : tramway, féminisme, immigration… tout ce qui attise les passions et provoque les querelles.
On pourrait craindre un traitement trop caricatural, mais non : la pièce surprend par sa subtilité. Les échanges sont riches, parfois drôles, parfois tendus, et l’expérience pousse à sortir de nos bulles de pensée. L'écriture, tirée de verbatim, est soignée, construite pour capturer la complexité de ces discussions. On y trouve toujours de quoi se reconnaître, en partie. Mais c’est peut-être là le principal écueil de la pièce. En premier lieu, l’écriture est si maîtrisée qu’elle met toutes les opinions sur un pied d’égalité. Ce souci de neutralité, propre au théâtre documentaire, tend à relativiser les idées, laissant entendre que toutes se valent, même celles qui remettent en question des droits fondamentaux. On confie au public le soin de se faire un avis, mais le risque est qu’il en ressorte désabusé, adoptant le “mon positionnement idéologique? j’m’en crisse” d’un des personnages. Une approche intéressante, mais périlleuse, qui demande un certain esprit critique et une bonne culture politique pour mettre les arguments des uns et des autres en perspective.
Ensuite, la pièce résume une soirée entière en une sélection d’échanges jugés essentiels, voire quintessentiels, par les auteurs. On semble avoir esquivé certains a qui arguments mènent à certaines réflexions ou réactions. Il est par exemple difficile de comprendre les réactions à fleur de peau de la gauchiste de service sur certaines choses dont on ne retient que l’émotivité irrationnelle, alors que les arguments du libertarien ou du conservateur sont intelligents et raisonnés. Tout ceci donnent une allure modérée et calculée à des discours pourtant tranchants. Et on pourrait se demander s’il y a eu un suivi auprès des participants originaux, tant cette expérience semble marquante.
La mise en scène est remarquable, avec une disposition bifrontale qui place le public autour d'une table centrale, recréant le repas initial. Chaque entrée en scène des acteurs est marquée par une chorégraphie qui donne le ton de leur personnage, et les effets de rembobinage des interventions ajoutent une touche ingénieuse à l’ensemble.
L’Assemblée est une expérience intéressante, qui vaut le détour. C’est une pièce intelligente qui suscite la réflexion. Mais elle appelle aussi à la prudence: gardez à l’esprit le paradoxe de la tolérance de Karl Popper et rappelez-vous que la neutralité n’implique pas nécessairement l’équivalence de toutes les idées.
Informations complémentaires
Du 17 septembre au 12 octobre 2024 à la Bordée
Une série documentaire de Porte Parole, coproduction La Bordée, Porte Parole et Nous sommes ici
Texte Alex Ivanovici, Brett Watson
Mise en scène Alexandre Fecteau
Distribution: Jean-Philippe Côté, Rosalie Cournoyer, Andawa Laveau, Christian Paul, Pierre-Yves Charbonneau et Marie-Ève Lussier-Gariépy