Le Mythe d'Orphée au Trident
Évoquer un mythe intemporel, tout en le revisitant, est un défi de taille, et l'adaptation du Mythe d’Orphée au Trident en témoigne. Une pièce qualifiée de "franchement contemporaine", et une proposition intéressante à plusieurs égards, à commencer par le choix du théâtre-danse, mais néanmoins entachée de quelques maladresses.
Commençons par les points forts : la beauté visuelle du spectacle est saisissante. Le décor, à première vue dépouillé, se transforme grâce à de grandes toiles modulables sur lesquelles sont projetées des images qui métamorphosent l’espace en paysages changeants, évoquant avec finesse différents univers. Les nuances d'ocre qui dominent créent une atmosphère enveloppante, et les douze interprètes, acteurs et danseurs, occupent la scène avec une aisance remarquable. Les rôles d’Orphée et Eurydice glissent d’un interprète à l’autre, conférant une richesse poétique à l’ensemble. La danse est au cœur de cette œuvre, et la chorégraphie signée Alan Lake—qui danse lui-même sur scène—est tout simplement éblouissante. Chaque geste, chaque mouvement captive et transporte, évoquant tour à tour la légèreté des âmes ou la profondeur des Enfers.
Les scènes dansées, chorégraphiées par Alan Lake (qui danse aussi sur scène), sont de pures envolées poétiques, où les corps semblent suspendus entre ciel et terre, un hommage visuel à l’art du mouvement. On y retrouve la grâce, la fluidité, et une sensualité qui touchent l’âme, c’est tout simplement éblouissant, enivrant, saisissant. Plusieurs scènes sont simplement hallucinantes de poésie, de légèreté, de fluidité des corps, de mouvements, de sensualité. C’est une danse qui raconte, qui émeut, qui fait vibrer le mythe d’Orphée avec une intensité palpable et qui donne l’impression de réellement voir les âmes des enfers entourer Orphée. Cette mise en scène d’Alan Lake et Frédérique Bradet est une réussite et ce qu’ils arrivent à faire dire sans mots, à évoquer par les corps est brillant, abouti, mature.
Mais si la danse suffit à elle seule à porter ce spectacle, l’ajout du texte vient, hélas, rompre la magie. Le texte d’Isabelle Hubert, si talentueuse soit-elle, semble ici en décalage. L’histoire d’Orphée, ce chanteur dont la voix pouvait charmer les dieux et la nature elle-même, se voit réduite à des dialogues crus et terre-à-terre, loin de la poésie que l’on attendrait. Orphée, dans la mythologie grecque, est littéralement celui dont la voix ensorcelait les êtres humains, les animaux, les fleurs, les arbres, les rochers. Il s’accompagnait de la lyre que lui avait donnée Apollon et chacun de ses chants était un miracle. Difficile alors de concilier la première tirade d’Orphée—un prosaïque “Merde, j’pense que mon cœur s’est arrêté”—avec le mythe de cet enchanteur mythologique. Les répliques suivent ce ton, parfois maladroitement trivial, et peinent à insuffler la grandeur tragique de l’histoire originelle.
Quant au choix de transposer le mythe dans un entrepôt à la manière d'Amazon, où Orphée incarne un jeune idéaliste et Eurydice, une superviseure désillusionnée, il prête à sourire avant de décevoir. Si l’intention de moderniser les enjeux est louable, le résultat tombe parfois dans un manichéisme trop appuyé, et l’actualisation du récit manque de subtilité. L’idée de confronter l’héroïsme antique à notre époque, marquée par l’individualisme et la désillusion, est pertinente, mais la réalisation aurait gagné à plus de retenue.
En somme, je ne saurais que trop vous conseiller de découvrir ce spectacle pour la danse, pour la puissance de ses images et la beauté des corps en mouvement. Le Mythe d’Orphée est une œuvre visuellement saisissante, à voir jusqu’au 18 mai.
Informations complémentaires
Texte d’Isabelle Hubert
Mise en scène d’Alan Lake et Frédérique Bradet
Chorégraphies d’Alan Lake
En coproduction avec Alan Lake Factori(e)
Distribution: Josiane Bernier, Victoria Côté, Gabriel Cloutier Tremblay,
Geneviève Duong, Laurent Fecteau-Nadeau, Alan Lake, Odile-Amélie Peters, Harold Rhéaume, Charles Roberge, Esther Rousseau-Morin, Jo Laïny Trozzo-Mounet et Éva Saïda.