La Fameuse Femme Québec ou le legs culturel intergénérationnel
Fascinante immersion dans l’histoire culturelle québécoise, La Fameuse Femme Québec nous replonge dans le Québec de la Révolution tranquille tout en critiquant intelligemment nos rapports à la célébrité, au succès et à la mémoire.
Martine, journaliste dont l’anxiété et la rigidité des principes féministes n’ont d’égal que son ambition professionnelle, rêve de lancer sur MaTV une émission consacrée aux artistes méconnus, “Poussières d’étoiles”. Pour vendre son projet, elle doit produire un pilote mettant en lumière Quérida Quirion, icône fictive et crépusculaire des cabarets et boîtes à chansons des années 60 et 70, surnommée La fameuse Femme-Québec, aujourd’hui tombée dans l’oubli et qui ne rêve que d’une chose: remettre les pendules à l’heure. Pour mener à bien ce projet, on impose à Martine de collaborer avec Exan, une jeune personnalité queer et non binaire de la génération Z, très en vue sur les réseaux sociaux.
Tous les ingrédients sont réunis pour une pièce où les égos vont se confronter et où les attentes des uns et des autres sont antipodes. Le huis clos qui s’amorce va lentement mais sûrement révéler beaucoup plus sur chacun que ce à quoi ils s’attendaient au départ. Les trois personnages ont bien entendu des références culturelles différentes (ce qui donne lieu à des répliques drôlissimes) mais cela n’empêchera pas des rapprochements générationnels parfois inattendus. Si Martine calque sa vision du monde et tente de susciter les propos qui ne vont que dans le sens de son analyse féministe, au risque de tordre la vérité et d’influencer Quérida pour lui faire dire ce qu’elle veut entendre, cette dernière en décide autrement et choisir d’incarner ses souvenirs avec une intensité palpable, gardienne vivante d’un passé révolu qui ne parle plus qu’à sa seule génération. Très ancré dans le présent, Exan incarne la modernité, avec une vision du monde directe et parfois tranchante, qui contraste fortement avec les souvenirs et la nostalgie de Quérida Quirion. La Fameuse Femme Québec offre ainsi une belle réflexion sur les différences générationnelles et les défis de la transmission entre ceux qui sont façonnés par le passé et ceux qui se définissent par leur époque actuelle et l'immédiateté des réseaux sociaux.
Mais ce n’est pas qu’une pièce sur les enjeux générationnels. Au travers du personnage de Querida Quirion - un amalgame de plusieurs femmes de l’époque -, La Fameuse Femme Québec rend un bel hommage à l’histoire culturelle du Québec, lorsque militantisme et divertissement pouvaient ne faire qu’un. On y aborde les événements d’octobre 1970, le Manifeste du FLQ, les cabarets de l’époque, le Cochon Borgne, Michèle Sandry et Roger Mollet, Michelle Lalonde et Ginette Reno et bien d’autres encore. Bien documentée, cette pièce vous donnera probablement envie d’ouvrir un livre d’histoire, que l’on saisisse toutes les références de la pièce ou non.
Dans l’édifice de notre culture, chaque brique est essentielle.
Après S’aimer ben paquetée, Cristina Moscini nous offre ici une histoire délicieusement rétro, aux personnages attachants, à l’écriture ciselée, pleine de traits d’esprits (“on a la carrière de son talent”) et d’échanges percutants qui ne manquent pas de faire rire le public. Le décor, conçu par Dominique Giguère , fourmille de détails. À la fois espace intime et chargé d’histoire, véritable bric-à-brac de souvenirs et d’objets d’une autre époque, il rend à la perfection l’ambiance d’un appartement du Vieux-Québec qui serait resté figé dans les années 1960. Tout y rappelle la mémoire collective et personnelle du Québec de cette époque.
Les trois acteurs qui se partagent la scène offrent une prestation solide. Jérémie Michaud campe un Exan tantôt exubérant, tantôt observateur, dont les silences expressifs apportent de nombreuses nuances dans un personnage qui aurait rapidement pu sombrer dans la caricature. Ariel Charest, qu’un personnage de féministe psychorigide, sans nuances et aux ambitions professionnelles contrariées aurait pu rendre détestable, offre une prestation très juste, dont la nervosité palpable s’incarne dans tous les mouvements. Lise Castonguay quant à elle, apporte au personnage de Quérida Quirion une fragilité presque gracieuse, aigrie juste ce qu’il faut pour être profondément attachante et terriblement sensible.
La Fameuse Femme Québec est une pièce riche, digeste et drôle, qui donne définitivement envie d’en savoir plus sur un passé pas si lointain. Une belle manière de rendre hommage à une culture populaire qui mérite définitivement sa place dans les livres d’histoire. À voir au théâtre La Bordée dès que possible!
Du 29 octobre au 23 novembre 2024
Texte : Cristina Moscini
Mise en scène : Nancy Bernier
Assistance à la mise en scène et régie : Hélène Rheault
Décor : Dominique Giguère
Costumes : Marie-Pascale Chevarie