Voici une performance théâtrale poignante et hors de l’ordinaire, qui explore les séquelles laissées par la violence sur le corps et l'esprit de jeunes victimes. Une proposition d’une intensité rare, qui n’est pas pour tous les publics, présentée dans le cadre du Mois Multi.
Le texte de présentation indique que “Le gardien des enfants est une performance théâtrale se questionnant sur les traces laissées par la violence sur les corps et les esprits de celleux qui la subissent”. L’auteur, Charles Voyer, y explore ses propres traumatismes, en les nommant avec une lucidité implacable : il y est question d’attouchements subis dans un service de garde durant l’enfance et de la découverte de snuff movies à l’adolescence. Autant d’expériences qui ne favorisent guère l’épanouissement personnel…
Il est ici essentiel d’insister sur la dimension de performance, car il ne s’agit nullement d’un monologue classique où Charles Voyer se contenterait de déclamer son texte. Loin de là, la proposition scénique se distingue par une approche sensorielle et immersive, utilisant les codes du conte pour enfant et dépassant le simple récit pour offrir une expérience profondément incarnée pour ce voyage intérieur et cathartique dans les tréfonds du traumatisme.


Charles Voyer débute la performance complètement nu, une nudité cependant pleine de pudeur, puis plonge dans le labyrinthe de ses souvenirs. L’univers scénique est trouble, troublant, presque aquatique – l’eau y est omniprésente –, et la démarche cathartique. Les paroles, parfois peu audibles pour le public, constituent un élément aussi central de l’expérience que l’atmosphère, la sensation qui s’en dégage.
La structure même du spectacle évoque le développement d’une photographie en chambre noire – ou plutôt en chambre rouge, tant la lumière rouge et obsédante qui baigne la scène teinte tout d’une intensité viscérale. À travers une mise en scène contemplative signée JJ Houle, le spectacle plonge le public dans une atmosphère onirique, évoquant un rituel énigmatique où chaque geste et chaque parole contribuent à une quête de résilience et de guérison. Cette scénographie minimaliste accentue l'intensité émotionnelle de l’introspection profonde.
Au fil de la représentation, Charles Voyer se rhabille progressivement, tandis que les mots, eux aussi, prennent forme avec plus de clarté. L’ultime geste est d’une puissance saisissante : il coud sur ses doigts – à même sa peau – ce qui semble être des fleurs ou des papillons de papier, utilisant une véritable aiguille et un fil bien réel, traversant la chair dans un acte à la fois brutal et profondément symbolique.
Le gardien des enfants nous est proposé par le collectif interdisciplinaire le Théâtre indépendant, formé d’artistes queers œuvrant dans le domaine des arts vivants. Si l’on aime les propositions qui sortent de l’ordinaire, voici définitivement une compagnie a suivre.