Œuvre à la croisée du récit intime et du théâtre, Pistes explore l’héritage colonial dans l’identité et les corps afrodescendants, au travers d’un voyage initiatique poignant et richement documenté. Une réussite, pour une pièce cathartique qui résonne/raisonne en chacun‧e en ces périodes troubles…
Pistes adapte un texte de l’autrice française Penda Diouf paru en 2017. Récit intime et poétique de reconstruction, l’œuvre retrace l’enfance et l’adolescence de l’autrice, marquée par le racisme, la misogynoir, l’obligation de subir la place que la société vous attribue, puis son voyage en Namibie, ou son histoire personnelle entre en résonance avec celle des Hereros et des Namas, victimes d’un génocide perpétré par les colons allemands à la fin du 19e siècle, dans un pays où est né le principe du camp de concentration. À travers cette quête initiatique, elle interroge l’identité, l’héritage colonial et la résilience, mêlant souvenirs, paysages et rencontres marquantes. Entre monologue et témoignage, l’œuvre déploie une parole à la fois introspective et engagée, où le chemin parcouru devient une métaphore de la reconstruction et de l’affirmation de soi.
Le texte est à la fois épuré et poétique, porté par une grande musicalité et une sensibilité à la fois intime et politique. Son écriture oscille entre un récit sobre et direct, ancré dans l’expérience du voyage, et des envolées plus lyriques qui traduisent l’émotion et la mémoire en mouvement. Construite entièrement autour de l’expérience du corps afrodescendant, de ses blessures, de sa construction sociale comme un “autre”, l’écriture est intelligente, riche, porteuse de sens multiples. Le tout étant extrêmement bien documenté, et au sortir de la pièce, nombreux furent les commentaires spectacteur.ice.s mentionnant combien ils avaient appris des choses, ce qui est sans doute l’un des plus beaux compliments que l’on puisse faire à une telle pièce. Bien peu connaissent en effet l’ampleur du génocide perpétré en Namibie, au point où les populations ont presque failli disparaître.
Pistes bénéficie vraiment d’une présentation au public dans le cadre du Mois Multi (et du Mois de l’histoire des Noirs). Natalie Fontalvo, metteure en scène, tire le meilleur des arts disciplinaires et de la pensée décoloniale, pour la première création au Canada de cette pièce finaliste et gagnante de plusieurs prix en Europe.
La pièce conjugue des codes propres aux arts multidisciplinaires – tels que la vidéo, le jeu performatif et une dramaturgie plurielle – avec des éléments plus traditionnellement rattachés au folklore, notamment la musique populaire afro-brésilienne, l’art textile d’héritage africain et les rituels. Dès son arrivée dans la salle du Premier Acte, le public se retrouve immergé au cœur de projections de photos historiques ou plus contemporaines, et la pièce commence sans que l’on s’en rende compte, en nous embarquant avec bienveillance dans ce voyage initiatique. Mieux vaut être prévenus: Pistes vous invitera à vous impliquer plus que d’habitude, et c’est un heureux choix de mise en scène.
Le choix d’avoir confié la musique et l’ambiance sonore à Flavia Nascimento est tout aussi heureux; ses chants et accompagnement nourrissent le texte (avec notamment une très belle et douce interprétation de Cordeiro De Nanã), font danser les corps, et permettent aux mots de se déposer profondément dans chaque spectateur‧ice. L’expérience s’en trouve enrichie, entière, enveloppante.
Il faut souligner l’impressionnante interprétation de Carla Mezquita Honhon, qui pendant près de deux heures porte sur ses seules épaules un texte aussi puissant que poignant. Sa performance physique et sa rigueur impeccable montrent une grande maîtrise du texte, tout en laissant apparaître des failles qui montrent la finesse de son jeu. Elle incarne parfaitement la tension entre parole et silence, mouvement et immobilité, failles et reconstructions, intimité et universalité.

Informations complémentaires
Exceptionnellement, on vous suggère de vous munir de vos propres chaussures d’intérieur, car vous devrez vous déchausser avant d'entrer dans la salle.
Texte : Penda Diouf
Mise en scène : Natalie Fontalvo (retrouvez ici notre entrevue avec elle).
Performance théâtrale: Carla Mezquita Honhon
Performance musicale: Flavia Nascimento
Collaboration à la création: Marie Tan
Scénographie: Sarah Toung Ondo