The Quarterlife crisis - transformer ses ruines en ombre à paupières
Manuel de décroissance personnelle pour jeunes adultes en transition
The Quarterlife Crisis explore avec une écriture mordante et poétique la crise du quart de vie, où les jeunes adultes, pris entre injonction à la réussite et quête d’identité, naviguent dans l’incertitude avec autodérision et lucidité. Une pièce percutante qui dépasse l’anecdote générationnelle pour interroger notre rapport à la liberté et à la pression sociale et qui touche un public bien au-delà des jeunes adultes.
Beaucoup de personnes connaissent le concept de la midlife crisis, qui décrit, dans nos sociétés occidentales, la période de doute que ressentent certaines personnes en « milieu de vie » et qui peut donner lieu à des changements radicaux dans sa vie. La quarterlife crisis est son équivalent pour les jeunes adultes, liée aux transitions majeures qu’ils affrontent. Indécision professionnelle et financière, pression sociale, identité et valeurs, stress et anxiété, cocktail parfait pour arroser le sundae de l’angoisse existentielle et sa c(e)rise d’urgence climatique et de lendemains qui déchantent.
Sous la plume de Catherine Côté, autrice du recueil de poésie dont est tirée la pièce et seule interprète en scène, la quarterlife crisis devient un concentré poétique, âpre, déglingué du quotidien. En détournant les codes d’un TED Talk, Elle nous entraîne dans les décombres d’une jeunesse qui doit trouver sa place, dédramatiser, explorer, accepter l’incertitude, se détacher des comparaisons… et claquer sa mise de fonds dans une psychothérapie qui, à défaut d’être aidante, à l’avantage de nommer des choses et faire des schémas.
Pour échouer, faut se lancer mais à part 20 000 botchs de cigarettes, t’as rien lancé.
“Monolithe d’émotions confuses”, en état de crise permanente tout en rappelant son état de femme blanche privilégiée qui ne devrait pas se plaindre, Elle aborde avec une saine insolence et beaucoup de dérision la quête d’authenticité des adulescents, qui pourchassent leur identité et leur “moi” entre deux lendemains de brosse aux relents d’antichambre de la dépression et en passant d’un personnage à l’autre, car il faut bien s’individualiser si on ne veut pas être invisibilisé. Il est loin le temps de Duplessis, où l’on n’avait pas à se poser de questions sur sa place dans le monde.

La quarterlife crisis est, dans ce texte d’une belle maturité, une (plus ou moins) longue crise identitaire parée de différents masques que l’on met et que l’on retire jusqu’à ce qu’il reste un être ayant retrouvé son calme et qui ne se sente plus inadéquat. Évidemment, la route pour y arriver est chaotique, et le GPS pas très fonctionnel. “Tu penses que tu vas mieux mais t’es juste lourde” nous dit Elle, en essayant d’avoir une conversation d’adulte qui comprend la différence entre un CELI et un REER.

Voici une pièce dont les qualités sont nombreuses, à commencer par une une grande maîtrise de l’écriture vive, acide, mordante, qui saisit néanmoins avec beaucoup de tendresse l’air du temps et les inconforts du passage adulte. Difficile de sortir de The Quarterlife crisis sans un peu d’empathie pour ce que traverse une bonne partie des jeunes. Par son ton décalé, lucide et plein d’humour, Catherine Côté nous montre que cette crise n’est pas un “luxe” réservé aux jeunes adultes occidentaux qui ont le privilège de se poser des questions existentielles plutôt que de devoir simplement survivre. Enfin, pas que. Loin d'être un gage de bonheur, l'éventail de choix (ou d’étiquettes) et la liberté dont jouissent les jeunes générations s'accompagnent d'une exigence tacite de performance et d’épanouissement personnel. Cette responsabilité individuelle accrue peut devenir une source d’anxiété et de troubles de santé mentale plutôt qu’un facteur d’épanouissement. En cela, il serait bon que la pièce soit vue par les générations ayant 40 ans ou plus.



Adapter un recueil de poésie pour le jouer seule en scène n’est pas une mince affaire. Gabriel Cloutier-Tremblay signe là une mise en scène tout à fait intéressante, avec un décor qui s’étend au fur et à mesure qu’Elle essaye de se trouver. Sous des néons crus et blafards, peu de place pour la nuance. On décape, on casse les murs, on rase gratis. On performe, on passe d’un personnage à l’autre. Une transformation habilement mise en valeur par l’évolution physique du personnage principal. Elle enfile son identité comme autant de costumes, s’affuble de corset et de pads dans les sous-vêtements et se glisse dans du mou informe mais qui cache si bien la détresse. L’ensemble est complété par la musique en direct d’Olivier Landry-Gagnon, qui apporte une belle ambiance sonore cohérente tout au long de la pièce avec ses instruments analogues et ses synthétiseurs modulaires. C’est réussi.
Impossible de ne pas saluer la performance de Catherine Côté, qui pendant plus d’une heure et demi interprète son texte avec beaucoup d’énergie, d’expressivité et de nuances. Ses créations, comme Renversé à l’ananas et Baby Shower témoignaient déjà de sa capacité à aborder des sujets actuels avec profondeur et originalité. The Quarterlife crisis confirme une fois de plus l’authenticité, la sensibilité et l’humour mordant qui caractérise son écriture. Sa capacité à capturer les complexités de la vie quotidienne, tout en offrant une perspective unique qui mêle introspection et critique sociale, est réjouissante.
Informations complémentaire
Du 11 février au 1er mars 2025
Autrice & interprète : Catherine Côté
Réalisateur sonore et performeur : Olivier Landry-Gagnon
Metteur en scène : Gabriel Cloutier Tremblay
Assistante à la mise en scène et régie : Mélissa Bouchard
Concepteur lumières & vidéo : Keven Dubois
Directrice de mouvement : Odile-Amélie Peters
Co-conception décor : Julie Lévesque et Gabriel Cloutier Tremblay
Conception: costumes Émily Wahlman