Présenté au Diamant dans le cadre du Festival Carrefour, The Rise of the BlingBling de Philippe Boutin propose une fresque théâtrale éclatée où Jésus, le kung fu, les mères dissipées et les sapins de Noël parlants cohabitent dans une fable pop-mystique débridée. Porté par une mise en scène foisonnante et une énergie contagieuse, le spectacle séduit par son audace formelle, tout en frôlant parfois l’indigestion par accumulation. Une odyssée scintillante, à la frontière du sacré et du spectaculaire.
Avant même le début officiel de The Rise of the BlingBling, les corps s’échauffent sur scène, en jeans et t-shirts, au rythme de musiques classiques et de pop ultra-contemporaine. Le ton est donné : nous ne sommes pas ici dans un théâtre classique, mais dans un espace de liberté absolue où Lady Gaga côtoie le buisson ardent, où Jésus porte des patins à roulettes, et où les anges ont des allures de miliciens surentraînés. Dans ce diptyque multidisciplinaire signé Philippe Boutin, tout est permis.
À la croisée du western spaghetti et du Nouveau Testament, The Rise of the BlingBling propose une fable pop-mystique foisonnante, où cinéma, théâtre, kung fu, musique live et humour déjanté se côtoient dans une fresque de trois heures trente aux allures d’opéra postmoderne. On y suit le parcours de Woody, jeune homme bercé par l’image d’un Jésus-héros (celui de La Dernière Tentation du Christ de Scorsese), dans un monde où l’Empire règne, les sapins parlent et la narration éclate comme les confettis d’une fête trop longue.
Le début est prometteur : la mise en scène explose de créativité, les ruptures de ton sont assumées, l’ironie mordante. Le public est interpellé, traversé, parfois envahi, notamment par le personnage de Loki, en bobettes et peau de poupon rose, qui vient régulièrement briser le quatrième mur pour commenter l’action et relancer le fil narratif, dans une mise en abyme ironique. L’humour fonctionne, les images sont fortes, et certaines scènes marquent les esprits : la danse des deux mères, la multiplication grotesque de figures maternelles dissipées, ou encore l’affrontement de kung fu chorégraphié avec brio, quoiqu’essoufflant dans sa durée.
Il y a dans cette œuvre une volonté manifeste de détourner les grandes figures du christianisme pour interroger ce qu’il en reste dans la culture populaire. Le buisson ardent devient sapin de Noël parlant, Woody-Jésus aide son prochain (ou presque), fuit vingt ans dans le désert avant de tomber dans une secte, prêche dans le désert face à ses mères... Le tout traversé de références à Star Wars, Jurassic Park, les requins de Katy Perry lors du Super Bowl et tellement d’autres… À travers cette saturation de signes, Boutin semble nous demander : est-ce que les icônes de la pop-culture peuvent encore porter un message de paix et d’amour? Ou bien ont-elles été englouties par le système du spectacle, digérées jusqu’à en perdre leur sens?
Ce théâtre de la surcharge, où les références affluent comme des perles sur une couronne trop clinquante, éblouit d’abord, avant d’épuiser. Il y a quelque chose de vertigineux dans cette volonté de tout inclure, tout dire, tout montrer. Mais à force d’accumuler les couches de sens et de médiums, la pièce finit par étouffer sous son propre foisonnement. Le message, pourtant simple et beau: “Que pouvons-nous faire pour rendre ce monde meilleur, sans violence?”, se perd dans le tumulte. Le spectacle nous fait passer du rire à la contemplation, du délire à l’épiphanie, mais ne laisse que peu de temps pour ingérer, digérer, ressentir pleinement.
Le titre, The Rise of the BlingBling, annonce la couleur : ici, tout brille, tout scintille, parfois jusqu’à l’aveuglement. On y dénonce la tentation de privilégier le spectaculaire au détriment de la réflexion… tout en y cédant parfois. C’est le paradoxe assumé de cette œuvre : sa critique du clinquant passe par une esthétique du clinquant, jusqu’à l’épuisement.
Les personnages secondaires, nombreux et protéiformes, portent des masques souples qui leur couvrent entièrement le visage, comme des poupées de chiffon anonymes, malléables, interchangeables. Ce choix scénique est d’une grande efficacité : il renforce l’idée d’un monde où les figures de pouvoir ou de foi sont devenues des archétypes vides, facilement projetables, à la fois dérangeants et familiers. Ces visages inexpressifs, presque grotesques, deviennent les supports d’un imaginaire collectif en perte de repères, où les identités sont floues, modulables, mises au service du récit plus que de la psychologie.
À l’inverse de cette abondance de signes visuels incarnés, la scénographie elle-même est étonnamment dépouillée. L’espace est ouvert, presque vide, laissant tout le champ libre à la performance, à la lumière, au mouvement, à la parole. Peu de décors fixes : ce sont les corps, les costumes, les accessoires ponctuels et surtout l’énergie scénique qui viennent habiter ce plateau souvent nu. Cette sobriété scénographique, dans un spectacle pourtant surchargé d’effets visuels et de références, crée un contraste intéressant : comme si la vacuité du lieu était le seul moyen de contenir cette surabondance narrative et symbolique. L’histoire, au fond, remplit tout.
Le public, ce soir-là, a été conquis. Les rires ont fusé, les applaudissements ont été nourris. Et c’est peut-être là la plus grande réussite du spectacle : rejoindre un public peu habitué qui a envie d’autre chose qu’un théâtre dit “classique”, en lui offrant une épopée théâtrale éclatée, généreuse, accessible, foisonnante d’images et d’énergie. Si certains peuvent se sentir un peu perdus en chemin, comme un tumbleweed roulant dans le désert d’une narration éclatée, Il faut reconnaître la puissance festive, opératique, de ce théâtre tout-terrain.
En somme, The Rise of the BlingBling est un ovni scénique qui fascine autant qu’il déroute. Une œuvre pop-mystique pleine d’audace, qui nous invite à interroger nos récits fondateurs à travers le prisme d’une culture saturée de symboles. On en sort le souffle court, les yeux pleins d’éclats, le cœur un peu partagé, mais l’esprit éveillé.
Informations complémentaires
Texte et mise en scène: Philippe Boutin
Production: Empire Panique, en coproduction avec le Théâtre français du CNA et Usine C
Durée: 3h30 incluant l'entracte
Interprètes ayant collaboré à la création: Rosie-Anne Bérubé-Bernier, Jaleesa Coligny, Larissa Corriveau, Maxime Genois, Léo Hamel, Émilou Johnson, Pierre Labbé, Simon Landry-Désy, Étienne Lou, Emmanuelle Lussier-Martinez, Kimberley de Jong, Maxime Mompérousse, Cécile Muhire, Christophe Payeur, Clara Prévost, Nikolas Pulka, Raphaëlle Renucci, Frédérique Rodier, Valmont Harnois, Vincent Kim et Adrien Martinez-Aubin
Scénographie de La Genèse : Clémentine Verhaegen
Scénographie de La plus belle histoire jamais contée : Maude Janvier
Chorégraphe de La Genèse : Elon Höglund Chorégraphe de La plus belle histoire jamais contée : Jean-Benoit Labrecque
Musique de La Genèse Antoine Berthiaume
Musique de La plus belle histoire jamais contée : Pierre Labbé