Titre(s) de travail: (R)évolution sur les planches du Périscope
Quatre comédiennes sont invitées à une audition pour le rôle de Juliette dans Roméo et Juliette de William Shakespeare. D’une situation relativement banale va naître une réflexion collective, portée par quatre jeunes actrices qui en ont beaucoup à dire sur ce que signifie être comédienne dans un monde qui évolue plus rapidement que le répertoire mis régulièrement à l’affiche.
À partir du personnage emblématique de Juliette, passage obligé – quoique conventionnel – d’une carrière théâtrale, et des clichés qui l’accompagnent, les quatre actrices (Natalie Fontalvo, Odile Gagné-Roy, Lauren Hartley et Marie-Ève Lussier-Gariépy) s’embarquent dans une réflexion, une déconstruction, une réappropriation du processus de l’audition, de la vente de soi, et plus globalement du métier d’actrice. Un métier que l’on définit souvent par la passion de celles et ceux qui le pratiquent et dont on peine souvent à reconnaître l’aspect professionnel, l’aspect précaire et la réalité matérielle. Titre(s) de travail nous rappelle combien il s’agit d’une profession, d’un métier qui implique une formation poussée et une obligation constante d’autopromotion. Parce que la passion, ça ne paye pas les factures!
En mettant en parallèle les parcours professionnels avec les parcours amoureux, Titre(s) de travail interroge sur les façons de (sur)vivre, professionnellement et intimement, quand on embrasse une carrière d’actrice. La pièce nous invite également à réfléchir sur tout le lexique de la profession, fait de passion, de feu sacré, de vocation, et qui contribue en retour à justifier plusieurs abus et à entretenir une relation toxique avec son métier. Juliette, passage autant obligé que redouté dans une carrière, permet de mettre en exergue toutes les injonctions contradictoires qui sont faites aux actrices, dans un contexte contemporain de mise en scène de soi sur une multitude de plateformes, d’auto-entreprenariat de soi, dans le but de se conformer au modèle d’actrice “polyvalente, malléable, prolifique”. Juliette est également un archétype sur lequel peut prospérer une foisonnante réflexion sur les pièces que l’on décide de mettre à l’affiche, l’idée de vouloir toujours (re)jouer les classiques, en essayant plus ou moins de les faire fitter à l’époque qui les voit jouer. D’ailleurs, si vous avez vu Roméo et Juliette au Trident il y a quelque temps, vous risquez de beaucoup rire des flèches décochées par Titre(s) de travail.




Pièce survoltée, vitaminée, intense du début à la fin, Titre(s) de travail est une pièce dense, à la mise en scène éclatée et aux interventions parfois cacophoniques. Cette intensité masque parfois des nuances qui auraient été extrêmement pertinentes et qui mettent en relief plusieurs réflexions très intéressantes sur le métier de comédienne. Plusieurs références pourraient également échapper aux spectateurs‧ices, plusieurs lignes semblant être destinées à des personnes qui sont passées par le conservatoire, et/ou qui exercent actuellement sur les planches de la scène théâtrale de Québec. On sent néanmoins que cette mise en abyme théâtrale est extrêmement bien documentée et s’appuie sur des faits vécus (ce qui fera rire jaune une grande partie de l’auditoire). Les non-initiés y trouveront une saine critique féministe de la profession d’actrice et des relations de pouvoir qui sont à l’œuvre dans la création d’une pièce de théâtre.
Christian Lapointe, co-auteur et metteur en scène, cette pièce émane d’un désir de faire de la création avec des artistes émergeant·e·s de théâtre de la ville de Québec. Sans texte sur lequel s’appuyer, sans idée préconçue du résultat final, le projet s’est articulé autour et avec les quatre interprètes, des “interprètes capables de fulgurance à l’esprit d’artiste articulé”. Ce faisant, Titre(s) de travail nous rappelle aussi que le travail collectif est fondamental dans le monde du théâtre, même s’il est plus facile de croire au génie individuel. La pièce nous invite également à réfléchir aux différentes manières dont notre époque peut être racontée par le théâtre et s’interroger sur la capacité des artistes à créer leur propres rôles dans un domaine artistique aux codes bien établis.
Informations complémentaires
Du 19 avril au 7 mai
Compagnie Carte blanche
Mise en scène et direction de création Christian Lapointe
Texte, conception et interprétation Natalie Fontalvo, Odile Gagné-Roy, Lauren Hartley, Christian Lapointe & Marie-Ève Lussier-Gariépy