Portes closes
Il va falloir mettre plus qu'un pied dans la porte pour conquérir le Parlement...
Portes closes est une pièce unique, qui combine l’intime et le politique, le réel et le théâtral, tout en étant savoureusement drôle. Une pièce où le “je” parle du “nous”, d’une manière nuancée et qui met en lumière la complexité du rapport des femmes à l’engagement politique, en explorant non seulement les obstacles externes, mais aussi les tensions internes qui freinent leur implication.
Voici une pièce qui mêle de manière intelligente autofiction et théâtre documentaire. Aude Seppey y joue son propre rôle, en mettant en scène son expérience personnelle des premières manifestations, d’engagement dans un parti politique de gauche, son parcours académique et ses réflexions sur la place des femmes en politique. Amenée par le biais de ses études au Conservatoire à réaliser une entrevue avec une femme politique qu’elle admire, elle se retrouve à faire d’autres entrevues avec des femmes de partis politiques plus ou moins proches de ses valeurs. L’insertion d’extraits d’entretiens réalisés avec des politiciennes de divers horizons (sans tomber dans la simple reconstitution journalistique) permet aussi d’offrir un panorama nuancé des défis que rencontrent les femmes dans le milieu politique. Et si les personnes sont toutes anonymisées, il est facile d’y reconnaître plusieurs politiciennes qui ont siégé au Parlement ces dernières années ou qui y siègent encore, tout comme les différents partis. Portes closes ancre son propos dans le Québec contemporain, de manière très documentée… et aussi drôle que percutante. Car c’est l’une des nombreuses qualités de la pièce que d’arriver à faire rire d’une situation qui est parfois… souvent… désespérante. Le contraste entre l’enthousiasme initial de l’autrice à s’engager en politique et les absurdités qu’elle découvre en cours de route fait autant rire qu’il fait grincer des dents, et cela a le mérite d’énoncer les enjeux avec finesse et d’alléger le propos sans minimiser son importance.
La pièce aborde la question de la représentativité des femmes en politique sous plusieurs angles, en montrant comment l’expérience des femmes élues est marquée par une double exigence : représenter les citoyen·nes qui les ont élues et, en même temps, être perçues comme des modèles ou des symboles de la diversité en politique. Comme si ce n’était pas suffisant, la cerise de l’injonction à être exemplaire se dépose sur le sundae de l’effet “alibi”, alors qu’une (bonne) partie des élues se retrouvent à servir de caution à des partis qui veulent projeter une image progressiste sans pour autant réellement changer les structures qui limitent l’accès des femmes au pouvoir. Portes closes réussit ainsi à montrer que la représentativité en politique ne se résume pas à une question de parité numérique et offre une belle critique du féminisme de marketing. Cette critique intelligente et bien incarnée permet d’interroger la véritable portée des avancées féministes en politique et de rappeler qu’un changement d’image ne suffit pas à garantir un changement de culture. De fait, Aude Seppey décortique bien la mécanique d’instrumentalisation subie par celles qui s’engagent: mises en vitrine mais exclues des cercles de décision, atteinte de quota qui ne transforment ni le paysage ni les structures politiques et traitement différencié sous peine de sanction plus sévère que leurs collègues masculin. Le tout illustré de faits qui sont encore frais dans la mémoire du public et qui ne manqueront pas de donner envie de mettre un peu le feu au système.
La force que ça prend pour aller au bout de ses convictions n’est pas inépuisable.
Plutôt que de se limiter à une dénonciation des obstacles systémiques (sexisme, culture politique fermée, intimidation), la pièce explore aussi les contradictions internes que vivent les femmes engagées. Elle interroge les doutes, la peur de l’exposition médiatique, le coût personnel de la vie politique, la question de représenter son électorat (et donc de “bien présenter”), ainsi que le sentiment d’illégitimité que peuvent ressentir certaines femmes lorsqu’elles tentent de s’impliquer. Et en évoquant les dynamiques internes des partis actuels (même et surtout ceux qui portent fièrement leurs engagements féministes et paritaires… de façade) et les expériences récentes de politiciennes, Portes closes interroge non seulement l’héritage du passé, mais aussi les freins toujours présents aujourd’hui, même dans les milieux progressistes.

Là où d’autres œuvres pourraient se contenter d’un discours militant invitant à ce que les femmes prennent le pouvoir, Portes closes met en lumière la complexité des motivations et des hésitations des femmes qui voudraient faire de la politique, avec au passage une belle réflexion sur ce qu’est le pouvoir dans les systèmes politiques contemporains et l’image du rôle de député.e. La pièce illustre avec acuité la tension entre deux visions du rôle de député, qui coexistent sans toujours se réconcilier. D’un côté, la politique est présentée comme un métier à part entière, exigeant la maîtrise d’un langage spécifique, de procédures complexes et de codes informels, notamment ceux du boy’s club. Cette professionnalisation tend à transformer la fonction en une spécialisation technocratique, où l’on devient expert du fonctionnement d’une machine administrative qui, en grande partie, s’autoalimente. À l’opposé, la vision idéaliste de la jeune militante fait des député.e.s avant tout des représentants du peuple, des élu.e.s dont la légitimité repose sur leur capacité à incarner les aspirations et les luttes des citoyen·nes. Dans cette perspective, la politique n’est pas une carrière, mais l’aboutissement d’un engagement, une forme de militantisme institutionnalisé où l’élu·e se met au service du bien commun et défend des idées plus grandes que sa propre trajectoire. Cette tension entre l’expertise institutionnelle et la vocation citoyenne traverse la pièce, rendant visibles les contradictions et les désillusions qui émergent lorsque ces deux logiques s’entrechoquent. La découverte de l’action communautaire vers la fin de la pièce ouvre en ce sens des perspectives intéressantes, même si elles présentent aussi des limites.

Portes Closes est une pièce sur les désillusions de l’engagement, mais ce n’est ni une pièce cynique, ni une pièce désespérée. Elle nous montre qu’il est important de continuer à s’engager et à espérer, à continuer la lutte pour exister dans l’espace public. Et croire que le théâtre est une manière de prendre le pouvoir, d’une manière plus inspirante que Sciences Po 101, par exemple.
Fuck jouer au Trident, c’est l’Assemblée que je veux!
La performance des deux comédiennes est remarquable. Aude Seppey incarne son propre rôle, partageant son expérience personnelle et ses réflexions sur l'engagement politique. Il y a beaucoup de maturité dans son jeu. Nadia Girard Eddahia, quant à elle, interprète plusieurs politiciennes en se métamorphosant grâce à des changements de costumes sur scène, offrant ainsi une diversité de portraits de femmes en politique. Ce procédé permet d’illustrer de façon vivante la diversité des parcours et des expériences tout en mettant en évidence les similarités des défis auxquels ces femmes font face. C’est réussi.
La mise en scène d’Agathe Foucault repose sur un minimalisme efficace. Cette simplicité permet aux comédiennes d'occuper la scène de manière vivante et engageante. La scénographie épurée et les éclairages froids renforcent le sentiment que les femmes en politique restent souvent des figures solitaires, devant naviguer dans un environnement qui ne leur est pas complètement ouvert.
Portes closes est une œuvre pertinente et engagée qui offre une réflexion profonde sur la place des femmes en politique. Elle invite le public à s'interroger sur les changements nécessaires pour créer un espace politique plus inclusif et accueillant pour les femmes, sans être moralisatrice. Et bien que la pièce s’appuie sur l’expérience personnelle d’Aude Seppey, la pièce ne tombe jamais dans le piège du nombrilisme. En s’inscrivant dans le registre de l’autofiction, elle assume la subjectivité de son regard tout en évitant l’enfermement dans une seule trajectoire individuelle. Au contraire, elle élargit constamment la perspective pour parler d’un nous, d’une expérience partagée par de nombreuses femmes en politique, mais aussi, plus largement, par toutes celles et ceux qui s’engagent dans des structures de pouvoir en espérant les changer de l’intérieur.
Informations complémentaires
Du 25 février au 8 m ars 2025.
Texte et production: Aude Seppey
Mise en scène: Agathe Foucault, assistée de Maria Alexandrov.
Direction de production: Pascale Chiasson
Interprétation: Aude Seppey et Nadia Girard Eddahia, avec la voix de Lé Aubin et Thomas Royer.